السبت، 13 أبريل 2019

Ni Google News, ni Lamartine

Ni Google News, ni Lamartine

L’écriture journalistique existe-telle
?… Apparemment naïve, cette question
met en lumière une ambiguïté, qu’il faut interroger avant même de penser
à écrire le premier mot de son tout premier article.
Les manuels d’écriture journalistique sont un des petits plaisirs des universitaires,
qui se pourlèchent les babines à l’idée d’en pourfendre les
prétentions normatives. Pour les spécialistes de la narratologie classique
(notamment Adam, 1997 :1135), il est aisé de démontrer à quel point
les genres journalistiques sont poreux, flous et, pour tout dire, bien peu
scientifiques. Pour les sociologues d’inspiration critique, il est tout aussi
réjouissant de dénoncer une mise en ordre du monde reproductive, formatée
et sérialisée par des règles d’écriture mettant en sommeil le sens
critique des individus. L’un et l’autre reproches sont pertinents. Après tant
de mise en procès du journalisme, il est étonnant de constater à quel point
certains manuels, certains discours entretiennent pourtant l’illusion d’un
code de l’écriture journalistique, en dehors des clous duquel il n’y aurait
point de salut professionnel.
Sans doute ne peut-on
comprendre la persistance de ce mythe de l’écriture
efficace, sans le replacer dans le contexte d’une identité professionnelle fragile,
récente et toujours délicate à établir. Dans la tradition française, le
journalisme s’est toujours défini dans la filiation abâtardie de la politique et
de la littérature. Aujourd’hui encore, le syndrome du journaliste réfugié en
cette occupation, des suites de ses déceptions en disciplines “nobles”, reste
très présent. On observe aussi toujours la volonté de journalistes, célèbres
ou non, de redorer leur réputation par la parution d’un texte littéraire. De
même que le passage “de l’autre côté de la barrière politique” demeure
une tentation constante des professionnels de l’information. On ne compte
plus les journalistes débauchés par des partis, parfois davantage pour leur
célébrité médiatique que pour leur génie visionnaire…
Cette tradition politico-littéraire
s’accompagne d’une écriture au “je”, et
parfois d’une glorification de l’ego. Elle trouve ses racines dans de grandes
figures historiques qui, de Chateaubriand à Thiers, en passant par Camille
Desmoulins, Zola, Daudet, Camus et bien d’autres… dessinent une tension
entre l’homme de lettres et l’homme de pouvoir, entre l’opinion et
la propagande. Cette tradition est, aujourd’hui encore, marquée par le
modèle démocratique classique, qui veut que tout un chacun – en vertu du
principe de délégation de la liberté collective d’expression des opinions en
une liberté de la presse, exercée quotidiennement par journalistes au nom
du public – puisse exercer ce métier sans condition de formation particulière.
On sait que, dans la réalité des recrutements rédactionnels, ce beau
principe se heurte aujourd’hui à des exigences techniques et intellectuelles
de plus en plus spécifiques. Mais, dans la culture francophone, la période
de l’après-guerre
a encore vu des générations complètes d’autodidactes,
parfois lettrés, parfois dilettantes, souvent engagés politiquement, peupler
les rédactions. En un laps de temps relativement court, cette génération
a laissé place à des journalistes formés en Écoles ou à l’Université, avec
les avantages de la professionnalisation et les risques de formatage que
l’on sait.
Cette population a largement intégré les apports d’un journalisme standardisé,
y compris dans ses méthodes. Mais la professionnalisation conserve
les traces de l’affrontement entre l’apport anglo-saxon,
et notamment ses
démarches de reportage, et l’approche politico-littéraire
francophone. On
verra qu’il ne faut pas se fier à cette dichotomie simpliste entre culture
américaine et européenne, particulièrement lorsqu’il s’agit d’interpréter les
pratiques actuelles.
Comme l’explique Bernard Voyenne (Voyenne, 1985 : 156), à l’aube du
xxe siècle, le glissement de connotation du mot “reporter” va marquer
une révolution. Alors qu’il désignait « la plus humble catégorie des gens
de presse », il va devenir un des termes « des plus prestigieux et des plus
enviés ». Derrière les catégories de rubriques qui se dessinaient ainsi, se
profilaient également des lieux de pouvoir symbolique : les éditorialistes,
les polémistes, les critiques et les chroniqueurs conservaient l’héritage littéraire
et politique. Les reporters, surtout lorsqu’ils peuvent prétendre au
titre de “grands”, se parent de l’aura des aventuriers et des correspondants
de guerre, sans dédaigner le goût des lettres incarné par Jules Huret, Albert
Londres ou Kessel.
Et si les rubriques se dessinent, les techniques d’écriture se déclinent. Le
journalisme moderne, issu de l’industrialisation, aura surtout apporté une
méthode, celle du rapport au réel… Et avec elle, toutes les illusions de
l’objectivité. C’est ce que Florence Aubenas et Miguel Benasayag appellent
la religion des faits. « La presse anglo-saxonne
l’a baptisée la “loi des
W” : Why ? Where ? When ? Who ? En France, les manuels disent plus
simplement qu’un article de presse doit répondre dès ses premières lignes à
quelques questions cardinales : Où ? Quand ? Qui ? Pourquoi ? » (Aubenas,
Benasayag, 1999 : 47).
Le crible de cette grille journalistique des W, apte à faire passer efficacement
les dépêches télégraphiques, a montré ses évidentes limites. Il n’a su empêcher
les dérapages médiatiques de la Guerre du Golfe ou de Timisoara

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