« Pour aider leurs élèves dys, les enseignants devraient déjà connaître leur handicap »
Le Dr Alain Pouhet, médecin à la retraite, est spécialiste des troubles dys. Il revient avec nous sur ce handicap, qu'encore trop d'enseignants semblent méconnaître.
Le Dr Alain Pouhet, ex-médecin de rééducation fonctionnelle au CHU de Poitiers et formateur en neuropsychologie infantile, est spécialiste des TSLA (troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage). En 2015, il a réalisé un ouvrage pratique pour les profs : « Difficultés scolaires ou troubles Dys ? » (Retz). Il est aussi l’auteur de « S’adapter en classe à tous les élèves dys » (CRDP de Poitou-Charentes).
Troubles Dys : de quoi parlons-nous ?
Il s’agit de troubles neurodéveloppementaux – des difficultés cognitives qui perturbent l’apprentissage. En gros, les outils qui sont dans votre cerveau et qui vous permettent d’apprendre, sont en panne. Il ne s’agit pas d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble sensoriel.
Ce n’est pas non plus le contexte (les parents ou les enseignants) qui empêche les enfants Dys d’apprendre, mais une panne dans le cerveau. Par exemple, pour lire, il faut savoir reconnaître les lettres et affecter le son qui va avec ces lettres – l’outil qui s’en charge (neurovisuel), et qui normalement est automatisé depuis plusieurs années chez l’enfant, ne l’est pas ici. Les outils « scolaires » qui permettent de lire, écrire, orthographier, compter, ne fonctionnent pas naturellement. Un enfant Dys peut faire des progrès en lecture, mais quand il lit, il le fait très lentement, en faisant des imprécisions, en prenant un mot pour un autre…
Quelles sont les conséquences sur les apprentissages, en classe ?
Cela dépend de la panne dans le cerveau. Les troubles d’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie, dysphasie, dysgraphie) sont nombreux, selon l’outil cognitif affecté. Si la panne concerne le langage, l’enfant aura des difficultés à comprendre certains termes utilisés à l’école. Si elle concerne les sons ou les lettres, elle se reflétera dans l’écrit. Et si elle concerne le sens du nombre, cela peut poser des problèmes en maths…
Il faut savoir que ces troubles cognitifs et d’apprentissage sont graves et durables, malgré les aides. Un enfant Dys peut progresser en lecture entre le CP et le CE2, mais il sera toujours très loin par rapport aux autres, et par rapport à ce qui est normalement attendu par l’enseignant. Cette situation de handicap perdure donc, malgré les progrès. Nombre d’adultes dyslexiques seront par exemple gênés dans leur activité professionnelle, quand il s’agit de lire vite, ou de lire des choses très techniques, avec des mots nouveaux.
Face à ces troubles, quel est le rôle de l’enseignant ?
Son rôle devrait d’abord être de mesurer qu’il s’agit bien d’une situation de handicap, afin de pouvoir y répondre. Le handicap est très bien défini par l’OMS (organisation mondiale de la santé) : « une limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques. »
Quand en CE2, on a de grosses difficultés à lire et à comprendre les consignes, par rapport aux copains, on est bien en restriction de participation et en limitation d’activité – car les apprentissages se font généralement via la lecture… Or, si l’enseignant oralise les consignes, l’enfant dyslexique n’aura aucune difficulté les à comprendre. Les enseignants doivent donc déjà connaître ces troubles, pour pouvoir s’y adapter.
Justement, connaissent-ils bien les TSLA ?
Je réalise beaucoup de formations pour les profs… Et force est de constater qu’en formation initiale, les dys sont inexistants. En formation continue, on en parle plus, mais c’est encore trop peu. A part quelques enseignants spécialisés, la plupart ne connaissent pas assez les TSLA. Remarquez que les médecins généralistes non plus ! Les responsabilités en matière de méconnaissance des troubles sont relativement bien partagées…
Les ESPE devraient donc informer sur ces troubles, et sur la prise en charge des dys. Même si les choses bougent, des dizaines de milliers d’élèves dys restent toujours dans l’impasse et en grave échec scolaire. En partie parce qu’ils tombent sur certains enseignants qui ne comprennent rien au film… Or, bien informés des particularités de leurs élèves dys, les profs ont la capacité de les aider.
Comment les profs qui ne connaissent pas bien ces troubles, peuvent-ils aider leurs élèves dys ?
L’enseignant doit se poser plusieurs questions : qu’est-ce qui gène le plus mon élève dys, qu’est-ce qui va bien chez lui, où en est-il après plusieurs années de prises en charge (ortophonie, PPRE, etc.) ? Ensuite, comment compenser ce qui ne va pas par ce qui va bien ?
Par exemple, un enfant dyslexique vif, intelligent et motivé, ne comprendra rien si je lui donne des consignes à l’écrit. Mais quand je les lis, il comprendra tout. Tant qu’il sera dans cette situation de handicap, afin de lui permettre d’accéder aux apprentissages via la lecture et d’aller au maximum de ce dont il est capable, je pourrai donc compenser le problème en favorisant l’oral.
Les enseignants ont souvent tendance à trop attendre des rééducateurs ; ils pensent par exemple que c’est l’orthophoniste qui va apprendre à l’élève dys à lire, alors que c’est à eux de le faire. Si leur élève est en terminale et qu’il doit lire l’Étranger de Camus, il ne va pas le faire – par contre, il va peut-être l’écouter en MP3, en version audiobook, et s’intéresser à la littérature tout en étant un piètre lecteur.
Ils doivent aussi expliquer ces troubles aux autres élèves, afin d’éviter que ces derniers soient jaloux face aux compensations apportées (par exemple, un ordinateur) en faveur de leur camarade dys.
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