Lors de leurs razzias, les fourmis légionnaires s’agrippent les unes aux autres pour former des ponts servant de raccourcis aux chasseuses. En les filmant au ralenti, des biologistes sont parvenus à comprendre les lois qui expliquent ces formations auto-organisées.
Elles ont la réputation d’être redoutables. Sans doute en vertu de leur terrible technique de chasse : chaque jour, des colonnes de milliers de fourmis légionnaires (ou “magnans”) arpentent le sol de la forêt tropicale sur 100 à 200 mètres, à une vitesse faramineuse (8 à 14 centimètres par seconde !) et attrapent la moindre proie qu’elles trouvent sur leur passage : des insectes, même les plus coriaces, comme les scorpions, jusqu’aux petits oiseaux !
Chaque jour, 40 grammes de victimes sont déchiquetées en moyenne par leurs puissantes mâchoires, et rapportées en lambeaux au siège de la colonie, afin de nourrir les larves. Avec la reine, entièrement consacrée à la ponte des œufs, celles-ci ne reposent pas dans une galerie souterraine comme c’est la norme chez les fourmis : tous les jours, la colonie se déplace, et passe la nuit dans un bivouac formé par les corps mêmes de ses membres, entourant les œufs et les larves.
NOMADES, LES FOURMIS LÉGIONNAIRES DÉPENDENT ENTIÈREMENT DE LA CHASSE
Cette vie nomade repose entièrement sur la rapidité des mouvements des fourmis et sur le succès quotidien de la chasse : les colonnes de fourmis magnans sont aussi impétueuses qu’implacables. C’est justement afin de rendre leurs raids les plus efficaces possibles, que si un obstacle se présente sur leur passage, elles forment, par auto-organisation, des raccourcis pour les contourner.
En pratique, les premières arrivées s’agrippent les unes aux autres en formant un pont sur lequel grimpent leurs congénères des rangs qui suivent, de manière à poursuivre leur trajectoire le plus directement possible. Et qui dit ligne droite, dit rapidité et performance.
Mais quelle est la longueur idéale d’un tel pont ? Comment ces petits insectes la calculent-elle, alors que leur cerveau est très limité ? Une équipe internationale de chercheurs allemands, américains et austaliens vient de décrire, dans un article paru dans la revue PNAS, les règles de l’art de la fabrication des ponts chez les fourmis légionnaires du genre Eciton, vivant en Amérique du sud.
LA CAMÉRA A OBSERVÉ LE COMPORTEMENT DES FOURMIS LÉGIONNAIRES FACE À DES DÉVIATIONS PLUS OU MOINS LONGUES
Chris Reid et son équipe (institut de technologie du New Jersey) ont fait parcourir à ces fourmis, sous l’œil d’une caméra, un trajet rectiligne, interrompu par un coude formé par deux lattes articulées entre elles, comme on le voit dans la vidéo ci-dessous. En faisant varier l’angle d’ouverture des lattes, ils observaient le comportement des fourmis face à différents cas de figure.
Résultats : contrairement à l’idée de départ, les ponts formés par les fourmis n’avaient pas une structure fixe, mais dynamique, pouvant changer en quelques secondes si les conditions changeaient (si l’angle du coude était modifié), afin qu’à tout moment, les légionnaires puissent avancer à la vitesse maximale.
Mais les chercheurs ont fait une autre observation importante : à mesure que l’angle formé par le coude augmentait, le raccourci le plus court — tout droit — devait être un pont très long, formé par un grand nombre de fourmis. Or, ce n’était pas la solution choisie par les légionnaires… Elles préféraient bâtir un pont un peu plus court, décalé vers la moitié du coude : au bout du compte, cela donnait tout de même une petite déviation de parcours.
UN COMPROMIS ENTRE LE NOMBRE DE FOURMIS FORMANT LE PONT, ET LE DÉBIT DE FOURMIS LE PARCOURANT
Pour quelle raison ? Car il n’est pas rentable, pour la colonie, d’employer un trop grand nombre de fourmis pour bâtir le meilleur raccourci, alors que celles-ci peuvent servir pour chasser ou pour défendre leurs congénères. Les scientifiques ont découvert que l’emplacement et la longueur du pont est un “compromis” entre ces deux exigences divergentes : aller vite et conserver un grand nombre de chasseuses en fin de parcours.
Comment ce compromis est-il atteint ? Lorsque les fourmis formant le pont sentaient que le flux de leurs congénères grimpant sur leur dos devenait trop faible, elles raccourcissaient la structure, quitte à rallonger un peu le trajet du raccourci.
D’après les auteurs de cette expérience, ce système d’auto-organisation pourrait servir aux informaticiens pour programmer des essaims de drones sauveteurs afin qu’ils s’auto-assemblent de manière optimale pour former des structures de secours.
—Fiorenza Gracci
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- Insectes : pourquoi ils vont conquérir le monde — S&V n°1030 (2003). Aux yeux de l’évolution, les insectes sont une colossale réussite, et parmi eux les stars sont assurément les fourmis. Ultra résistantes et à l’organisation collective ultra-performante, le monde leur appartient !
- L’union fait la voracité — S&V n°926 (1994). Le nombre n’explique pas entièrement l’efficacité des fourmis magnans, redoutables carnassières. Les chercheurs commencent à comprendre l’alchimie de leur comportement si bien coordonné…
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