الخميس، 21 أبريل 2016

Maternelle : Pascale Garnier : Le problème c'est justement la scolarisation pour des enfants de moins de 3 ans



Alors que le ministère annonce "une grande mobilisation pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans", Pascale Garnier, professeure à Paris 13, coordinatrice du groupe chargé de l'élaboration d'un projet de programme pour la maternelle, co-auteure de " A 2 ans vivre dans un collectif d'enfants" revient sur les modes d'accueil des tout petits. Pour elle, la scolarisation en TPS n'est pas une solution pour les tout petits. Il lui manquera le regard et la culture professionnelle des spécialistes de la petite enfance.

Selon le ministère le retard à la scolarisation des moins de trois dans les zones défavorisées résulte des réticences des parents. Est-ce votre avis ?


 C'est une partie de la réponse. Il y a une question  de demande mais aussi d'offre. Il peut y avoir effectivement des réticences culturelles à placer les enfants en vie collective avant trois ans dans certaines familles issues de l'immigration qui n'ont pas l'habitude d'un système d'accueil des jeunes enfants. On retrouve cela d'ailleurs pour la crèche.

Mais il y a aussi une demande forte des parents pour scolariser les enfants car c'est gratuit par rapport à la crèche. Donc la demande est très contrastée.

Enfin il y a la question de l'offre. Est elle suffisante pour accueillir les enfants ? Les chiffres, selon une étude Depp de 2014, montrent des contrastes géographiques. En Seine Saint Denis le taux de scolarisation avant 3 ans est de 1.7% alors qu'il est de plus de 3 enfants sur 10 dans  des départements de l'ouest et du centre de la France.

Ces contrastes s'expliquent par l'histoire et les moyens des communes. Dans le 93 c'est clairement non. Les écoles maternelles explosent compte tenu de la croissance démographique. Dans ces communes la priorité serait déjà de diminuer les effectifs par classe avant de scolariser les tout petits. Ensuite c'est pas tout d'offrir des places.  Il faut aussi prévoir les atsems, par exemple. Donc c'est tout un investissement municipal.

Cette réponse qui impute aux parents des refus culturels pour expliquer les difficulté de la pré scolarisation est partielle.

Les enseignants sont-ils suffisamment formés pour accueillir les tout petits (TPS) ?

Dans une partie des départements il ya une formation pour les TPS. Mais elle est courte et globalement les professeurs des écoles manquent de formation pour l'école maternelle.

Quelles seraient les conditions d'une bonne scolarisation en TPS ?

Le problème c'est justement la scolarisation pour des enfants de moins de 3 ans.  On les met d'emblée dans un cadre scolaire avec l'alternance récréation - classe, la cantine collective. On impose d'emblée des regroupements c'est à dire des formes scolaires qui ne conviennent pas. La question ce n'est pas seulement d'adapter les conditions. Le collectif classe à cet âge là se construit sur toute l'année scolaire. Quand on impose des regroupements collectifs aux enfants pour faire la classe, c'est quelque chois qui n'est pas à leur portée.

Le fait qu'ils soient mélangés dans 90% des cas avec des enfants plus âgés ça pose problème ?

Le plus souvent on trouve 8 enfants de TPS avec 16 de petite section. Le problème c'est que souvent le cadre reste fixé pour la majorité et les tout petits doivent suivre leur rythme qui est déjà très scolaire. Il n'y a pas de respect de l'activité libre de l'enfant.

La sécurité affective du tout petit est elle respectée dans ces conditions ?

Il y a des difficultés au moment de la séparation. Là il faut quelque chose de très progressif et donc d'une écoute de chaque enfant qui passe aussi par la relation avec les parents. Il ne s'agit pas seulement d'accueillir l'enfant mais la famille. Cet accueil des parents doit être possible chaque journée. Il faut que les parents puissent rester dans la classe.  Or c'est une difficulté fréquente à l'école. Les enseignants mettent souvent des barrières avec les familles consciemment ou inconsciemment. La sécurité émotionnelle nécessite aussi un taux d'encadrement important et de favoriser les interactions entre enfants.

Sur le document ministériel originel (il a été retouché depuis NDLR) on voit des enfants qui ont des tétines et une table à langer devant le tableau noir. C'est courant à l'école maternelle ?
Un tableau noir avec des tout petits ,  les dés pour compter... on voit bien qu'on est sur une image traditionnelle de l'enseignant qui enseigne. Lev Vygotski montre bien que avant 3 ans l'enfant apprend de façon spontanée, en suivant son propre rythme. Il n'y a pas à enseigner. De l'autre coté, la tétine, la table à langer fait partie d'une adaptation progressive aux besoins des tout petits. Trop souvent on impose que les tout petits soient propres dès le premier jour de classe même si la circulaire de 2012 parle d'adaptation. C'est ce qu'on a observé. C'est lié d'ailleurs au fait que les enfants sont mélangés. On impose les normes des petits aux tout petits.



Dans l'ouvrage "A 2 ans vivre dans un collectif d'enfants", plusieurs types d'accueil sont mis en parallèle. Il semble que vos préférences aillent à la classe passerelle. C'est quoi exactement ?


Ce dispositif m'apparait le meilleur dans le cadre d'une politique de scolarisation prioritaire à un moment où il y a une forte pénurie de places en crèche. Il m'apparait plus porteur que la TPS. C'est aussi une recherche locale qui ne prétend pas représenter toutes les structures existantes.

L'idéal c'est que les enfants puissent prendre le temps de découvrir la vie en collectivité avec un ratio d'adultes qui est celui de la crèche ou du jardin maternel et dans des conditions satisfaisantes pour être ensuite scolarisés progressivement. Mais si on pense scolarisation dès 2 ans alors la classe passerelle parait la meilleure solution.

La classe passerelle a l'avantage de mélanger des cultures professionnelles différentes avec une professeure des écoles, une atsem et une éducatrice jeune enfant (EJE) (éventuellement ce peut être des hommes bien sur). Ce trio apporte beaucoup. Par exemple l'EJE va avoir un rôle prépondérant dans la relation avec les parents. Une professeure des écoles seule a plus de mal à faire ce lien. L'EJE fera aussi le lien avec les services petite enfance.

Il faut savoir que les classes passerelles ne sont pas nouvelles. Elles datent de 1990 et ont fait l'objet d'une évaluation en 2000. Elles ont fait leur preuve, même si leur nombre reste très réduit. Par exemple à Roubaix on a supprimé toute les TPS et on n'a que des classes passerelles. Il faut une volonté politique forte, tant au niveau national que local...

C'est encore une classe ?

Il y a des différences. La grande différence c'est le travail à trois. Du coup le cadre scolaire n'est pas fixé à l'avance. On entre dans la classe un peu comme dans une crèche. Et c'est petit à petit que des embryons de forme scolaire se font. Par exemple les regroupements ne vont pas être imposés par l'adulte. Ils vont se faire à partir d'une interaction entre enfants. Par exemple les enfants se regroupent autour d'un intérêt comme la chanson de la maitresse. On construit le collectif classe à partir des interactions des enfants. D'où le soin que mettent les professionnels à les faire vivre. La forme scolaire n'arrive pas d'emblée dès la rentrée mais se met en place  en fonction des opportunités tout au long de l'année.

Un autre point c'est l'accueil des parents. J'en ai déjà parlé. Par exemple dans la classe passerelle présentée dans le livre, la rentrée est très échelonnée. Il y a tous les matins des ateliers parents-enfants et toutes les semaines un "salon des familles" avec l'EJE et des intervenants qui permet de travailler avec les parents des questions comme la séparation, la place du jeu ou les accidents domestiques.

Qu'est ce qui empêche de multiplier les classes passerelles ?

Le coût. Il y a une personne en plus et des effectifs limités. Par exemple 20 enfants pour 3 adultes. Il y aussi un manque de coordination entre éducation nationale et petite enfance et des résistances locales. Par exemple le fait que les enfants puissent déjeuner tranquillement dans la classe avec l'Atsem et l'EJE au lieu d'aller à la cantine dans le brouhaha. CE qui fait que les enfants sont toujours avec les mêmes adultes. Cette permanence est très rassurante.

C'est une rupture culturelle pour les enseignants ?

Ca demande beaucoup de remise en cause.  Le tout petits c'est un monde étranger pour les enseignants. C'est très spécifique. Accueillir les parents dans la classe, travailler en permanence sous le regard d'autres adultes comme l'EJE, de se concerter en permanence voilà d'autres points de rupture

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