Voici l’étoile la plus lointaine de l’Univers
Dans leur course au big bang, ce fascinant et vertigineux zoom arrière dans l’abîme du temps, jusqu’à l’origine de notre univers, les astronomes se repèrent à des jalons cosmiques, des étoiles, des galaxies, découvertes à des époques de plus en plus lointaines. C’est, pour eux, la seule façon de confronter les modèles théoriques à la réalité du « terrain ». Et c’est pour cela qu’un gros effort techno-scientifique est soutenu par la communauté scientifique internationale, qui, toute les deux ou trois décennies, conçoit une « machine à remonter dans le temps » plus puissante que celle de la génération précédente. Le télescope spatial Hubble, le Very Large Telescope, le réseau géant Alma, ont été conçus, pas seulement, mais essentiellement pour cela : tenter de découvrir, à l’aube du temps, la première galaxie, la première étoile… Au début du XX e siècle, quand, grâce à la théorie de la relativé générale, l’Univers a pu, pour la toute première fois dans l’histoire, être considéré comme un objet d’étude scientifique, les astres les plus lointains étaient situés à une centaine de millions d’années-lumière seulement. Puis, progressivement, théorie et observation ont convergé pour assigner à l’Univers – à notre univers, pour être exact – un âge de 13,7 milliards d’années et, aux premières structures – étoiles, galaxies – un âge d’environ 13,5 milliards d’années. Autrement dit, à partir du fluide homogène et brûlant laissé par le big bang, les premiers astres se seraient formés, supposent les cosmologistes, environ 200 ou 300 millions d’années après le big bang…
La génération de télescopes actuelle, dominée par Hubble, dans l’espace, et par les télescopes de 8 à 10 mètres de diamètre, sur Terre (VLT, Keck, Subaru, Gemini) a permis de repousser les limites – un milliard d’années-lumière dans les années 1950, dix milliards d’années-lumière dans les années 1990 – jusqu’à 13,1 milliards d’années-lumière en 2011, avec la découverte de la galaxie UDF y-38135539…
Mais il est bien difficile d’aller plus loin, les télescopes actuels n’étant pas assez sensibles pour apercevoir une galaxie plus lointaine.
Pourtant… Il semble bien que le record de UDF y-38135539 ait été battu par l’équipe de Antonino Cucchiara, Andrew Levan, Derek Fox, Nial Tanvir et leurs collaborateurs. Le 29 avril 2009, le satellite américain Swift détecta, dans la constellation des Chiens de Chasse, un puissant flash de rayons X et Gamma, signe probable de l’explosion titanesque d’une étoile, quelque part dans l’Univers… Un flash fulgurant – on ignorait encore à ce moment là à quel point – qui ne dura, selon le satellite, que 5 secondes et demie… Cet événement, indexé GRB 090429B par l’Union astronomique internationale, donna lieu immédiatement à une alerte mondiale : le satellite Swift transmis automatiquement aux grands observatoires les coordonnées célestes où il s’était déroulé… Il était précisément 7 heures 30 min 3 secondes du matin, heure de Paris. Quatorze minutes plus tard, exactement, le télescope de 2,2 m de diamètre de l’observatoire européen de La Silla, au Chili, se tourna vers cette source pour tenter de la capter : ce télescope est équipé de l’instrument Grond, spécialisé pour cette détection rapide des phénomènes ultrarapides : en effet, après le flash initial, émis à très haute énergie, signant l’explosion fulgurante de l’étoile, celle-ci se disperse dans l’espace, en une gigantesque « boule de feu » qui s’étend tout en refroidissant lentement. En principe, donc, les explosions stellaires, une fois détectées par les satellites, peuvent être suivies des semaines durant avec des télescopes classiques. En principe ; mais dans le cas de GRB 090429B, non : le télescope de La Silla ne détecta rien… A l’observatoire de Cerro Paranal, toujours au Chili, c’est le puissant Very Large Telescope qui fut mis à contribution à son tour : la aussi, la détection du phénomène se solda par un échec. Enfin, à l’observatoire du Mauna Kea, mieux situé pour observer cette région du ciel boréal, proche d’Arcturus, le télescope Gemini North fut, à son tour, mobilisé. Il était 10 heures, soit 23 heures à Hawaï…
Les astronomes, là-haut, à 4200 mètres, eurent plus de chance, puisque, si GRB 090429B demeura invisible sur les images prises dans la lumière naturelle, c’est à dire le spectre visible, en revanche, il apparut, comme une infime tache lumineuse, sur les images infrarouges. Du coup, les astronomes américains tentèrent d’obtenir un spectre de l’astre, c’est à dire essayèrent d’analyser sa lumière, afin, entre autres, de déterminer sa distance exacte. Las ! Le vent, au sommet du volcan Mauna Kea, devint trop fort, et la coupole du télescope Gemini North se referma automatiquement. On ne revit plus jamais GRB 090429B, et personne n’arriva à détecter la lointaine galaxie où l’évènement avait eu lieu… L’enquête commença donc pour tenter de comprendre ce qui s’était passé cette nuit là, dans la constellation des Chiens de Chasse. Première chose : estimer la distance de l’explosion. En l’absence de spectre, les astronomes utilisent une nouvelle méthode, appelée « spectroscopie photométrique » consistant à mesurer l’éclat de l’astre à travers plusieurs filtres, dans les rayonnements ultraviolet, visible et infrarouge. Le profil photométrique reconstitué fait office de profil spectral. Seul problème, cette méthode n’a pas l’absolue précision de la spectroscopie classique, elle ne donne qu’une probabilité que l’astre soit effectivement à la distance mesurée… Dans le cas de GRB 090429B, l’équipe de Antonino Cucchiara estime à plus de 90 % la probabilité que l’explosion ait eu lieu à… plus de 13,1 milliards d’années-lumière de la Terre : en clair, le record de UDF y-38135539 serait battu d’une petite cinquantaine de millions d’années-lumière. Pour les experts, voici les chiffres : le redshift record de la galaxie UDF y-38135539 est de 8,55, celui de GRB 090429B serait de 9,4. L’hypothèse de l’équipe américaine est confortée par l’absence de détection de la galaxie hôte de l’étoile morte, même sur les images du télescope spatial Hubble : pour qu’Hubble soit incapable de détecter une galaxie, il faut que celle-ci se trouve vraiment très très loin…
GRB 090429B signe probablement la mort d’une étoile supergéante, cinq cents millions d’années après le big bang. Le flash initial de rayons gamma et X, probablement émis lors de l’effondrement de l’astre sur lui-même, n’a pas duré 5,5 secondes, comme l’a mesuré Swift, mais seulement… une demie seconde ! En effet, aux grandes distances cosmologiques, les effets relativistes dilatent espace et temps. Considérée dans notre référentiel actuel, l’explosion titanesque de GRB 090429B a été vue au ralenti… Pour être visible à plus de 13,1 milliards d’années-lumière de distance, il faut que le phénomène ait été d’une puissance inouïe. De fait, celle-ci a été estimée, d’après sa supposée distance : GRB 090429B aurait libéré une énergie supérieure à celle de mille milliards de soleils… Quand s’arrêtera cette quête de la toute première génération d’étoiles ? Personne ne le sait vraiment… Il ne reste plus que deux ou trois cents millions d’années à remonter dans le temps, mais les effets cosmologiques qui augmentent avec la distance rendent la détection de plus en plus difficile. Pour les astronomes, plus ils reculeront dans le passé, plus le temps semblera ralentir. Plus les astres sembleront pâles, dilués, flous. L’éclair lumineux émis par la toute première génération d’étoiles est là, à portée de télescope, il sera perçu, peut-être, dans dix, vingt, trente ans…
ليست هناك تعليقات:
إرسال تعليق