J’ai une mauvaise nouvelle pour un certain nombre, semble-t-il, de mes lecteurs : je suis une « vraie prof ». Je suis fonctionnaire, diplômée, et j’enseigne depuis de nombreuses années les lettres classiques. Désolée.
Pire, je crois savoir que mon travail en tant qu’enseignante est plutôt apprécié. J’ai de bons rapports avec ma direction, qui me confie des responsabilités. J’échange avec mes collègues, avec lesquels je monte des projets, des sorties. J’ai des retours positifs de mes élèves, de leurs parents. Je suis même restée en contact avec quelques anciens élèves. Bref, après enquête, je crois que je suis une « prof normale ».
J’enseigne, réellement. A temps plein, avec même des heures supplémentaires assez imposées (« ah oui, mais madame Martin… Si vous refusez de les prendre en heures supplémentaires, je serai obligé de supprimer les cours de latin et grec… »). Je ne suis pas détachée dans un bureau quelconque, ni en congé maternité, ni en congé maladie. J’en profite pour rassurer et remercier chaleureusement ceux qui se préoccupent manifestement de ma santé mentale. Eh oui, je suis devant mes élèves, cinq jours par semaine.
Tenir ce blog m’a été proposé par la rédaction de Télérama. Je l’ai déjà dit, mais je crois manifestement utile de le répéter : le but unique et déclaré de cet espace est de raconter le quotidien d’un enseignant de lettres classiques au collège dans le contexte particulier de la réforme. C’est ce que je fais, depuis la rentrée. Je tiens à préciser qu’aucune orientation de mes propos ne m’a été demandée. Je ne devais en aucun cas « faire un blog anti-réforme ».
Je l’ai dit, j’ai entamé cette année dans un état d’esprit à la fois réservé et constructif. Je comprends qu’avec le recul, on ait du mal à y croire… Pourtant je l’affirme, je n’ai rien inventé. Rien. Toutes les personnes auxquelles je fais référence, adultes et élèves, sont bien réelles. Chaque réplique que je cite, je sais exactement qui l’a prononcée et dans quel contexte. Et je m’efforce de rester aussi fidèle que possible aux faits.
J’avoue être assez perplexe quand certains trouvent que les élèves que je décris ne sont pas réalistes. Tous les propos qu’ils tiennent et que je vous retranscris sont parfaitement exacts. J’ai enseigné dans des établissements aux publics très divers, et les adolescents que j’ai en face de moi dans mon collège actuel ne me semblent en rien extraordinaires. Je l’ai déjà mentionné, c’est un établissement de centre-ville, de bon niveau. Pas le « meilleur » de la ville, pas celui où se trouvent toutes les classes privilégiées de musique et de sport.
Mes élèves de troisième – puisque c’est notamment eux dont il a été question dans mon dernier article – n’ont rien d’exceptionnel. Une assez bonne classe, dans un assez bon collège. Quelques élèves très performants, pas de génie détecté non plus. Le fait qu’ils réagissent à l’élection de Donald Trump ne m’a pas surprise, le monde entier a réagi à cette élection qui est, qu’on le veuille ou non, un fait historique. Je trouve plutôt sain que les adolescents soient conscients de vivre l’Histoire. D’autres élèves, parfois dans des établissements fréquentés précédemment, avaient également réagi devant des faits historiques importants : le 11 Septembre, les attentats de Charlie Hebdo, le 13 Novembre, le Brexit…
Que ma pauvre collègue au bord des larmes en salle des professeurs (pas devant ses élèves, hein, en salle des professeurs…) soit jugée comme manquant totalement de professionnalisme me surprend. Alors déjà vous tombez mal, car c’est une enseignante particulièrement compétente, très impliquée et très appréciée des élèves et des parents. Et j’avoue que, même après réflexion, je reste plutôt fière, moi, de travailler avec des gens qui prennent leur fonction et leur environnement à cœur, et pas avec des robots (ce qui viendra peut-être).
On me dit que je tiens des propos anxiogènes… Certes, je n’ai pas réussi à me montrer rassurante mercredi 9 novembre, je l’avoue. J’ai eu du mal à prendre le recul nécessaire, entre 6h30 et 8h25. Deux heures ne m’ont pas suffi à digérer la nouvelle.
Je me permets de rappeler cependant que c’est aussi le ministère de l’Education nationale qui nous demande d’éduquer à la citoyenneté, de parler abondamment des risques liés à l’alcool, à la drogue, et du harcèlement. Qui impose un nombre croissant d’exercices d’évacuation liés à divers « risques majeurs » : incendie, séisme, nuage toxique, incident nucléaire… Qui, il y a quatre semaines, exigeait que les élèves de tous âges apprennent à se cacher sous les tables pour éviter des tirs de kalachnikovs. Alors oui, pardon, le 9 novembre, je n’ai pas eu la présence d’esprit de rassurer mes élèves en leur disant que l’élection de Donald Trump était un non-événement et que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa.
On trouve aussi que le contenu de ce blog est uniquement négatif, et on a raison. Exagérément négatif : on a tort. Est-ce lié à ma personne ? Au fait que certains, qui ont manifestement fait médecine, me pensent dépressive au dernier degré ? Eh bien non. Déprimée, oui, absolument, par ce qui se passe dans l’Education nationale et qui est donc le sujet exclusif de cet espace numérique. Mais sinon je vais plutôt bien, la santé ça va, la famille aussi, merci !
Le travail ? Non, cela ne va pas, du tout. Ce n’est pas de mon fait : j’aime toujours enseigner, j’aime toujours le contact avec les élèves, j’aime toujours le français, la littérature et les langues anciennes. J’observe également que je ne suis pas la seule à mal vivre ce qui se passe : c’est le cas de tous mes collègues, les vrais, ceux dont vous doutez de l’existence, pour certains. Depuis mercredi dernier, je pourrais vous citer plusieurs nouvelles réflexions désespérées entendues ici et là, ou d’autres obligations sans queue ni tête. Je ne trie pas, non. Je n’omets pas volontairement les points positifs de cette réforme et de son application : je ne suis pas partisane, je ne suis militante dans aucun parti ou aucun syndicat, je l’ai déjà dit. C’est un fait : depuis le 1er septembre, l’application de cette réforme me semble exclusivement néfaste pour mon métier mais, surtout, et c’est bien plus grave, pour la réussite de mes élèves.
Ceux qui trouvent mes récits exagérés ou mensongers sont peut-être parents d’élèves, et essayent ainsi de se rassurer sur l’instruction que vont recevoir leurs enfants. Je suis également parent d’élève, je peux comprendre cela, car je suis tout sauf rassurée moi-même.
Ou bien peut-être sont-ils enseignants, dans un établissement où l’application de la réforme se passe bien, où l’équipe se réjouit des nouveaux programmes, des nouveaux horaires. Peut-être. Je n’en ai encore jamais croisé dans mon microcosme personnel. Je les exhorte, dans ce cas, à profiter intensément de la chance qu’ils ont de bien vivre ces changements. Mais je ne parviens pas à comprendre comment ils font.
Ou bien ce sont des gens qui ne lisent ce blog que pour le critiquer, sans réelle curiosité, et dans ce cas je leur conseille en toute sincérité d’arrêter de se faire du mal, et donc d’arrêter de me lire, s’ils n’y trouvent aucun intérêt, ce que je peux parfaitement entendre et comprendre. Ce n’est jamais qu’un blog.
Pour conclure grâce à Madame de Sévigné : « Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer », et bien nous vous rétorquerons que vous avez tort, et que nous aurions préféré que vous ayez raison !
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