À la trace, de Deon Meyer
Milla, mère au foyer effacée, prend un jour son courage à deux mains et se décide à quitter son mari cavaleur et son fils. À la recherche d’un emploi, elle est finalement embauchée comme rédactrice par l’Agence de Renseignement Présidentielle au moment où celle-ci soupçonne un groupuscule islamiste de vouloir commettre un attentat.
Lemmer, le garde du corps, est quant à lui chargé de convoyer deux rhinocéros noirs du Zimbabwe jusqu’à une réserve sud-africaine. 18 heures durant, il va voyager avec une étrange pisteuse qui semble avoir bien des choses à cacher.
De son côté, Mat Joubert, ancien policier tout juste engagé par une grosse agence de détective, est chargé de retrouver la trace d’un employé d’une compagnie de bus qui a disparu depuis plusieurs mois.
Trois histoires, trois destins amenés à se croiser à un moment ou un autre.
Imposant. C’est bien le premier mot qui vient à l’esprit à propos de ce nouveau roman de Deon Meyer. Un énorme pavé de près de 750 pages avec l’ambition d’aborder à la fois la question de l’islamisme en Afrique du Sud, de la condition des femmes, des gangs, et de la protection des espèces animales. Imposant donc, et ambitieux. C’est donc avec un certain plaisir anticipé mêlé de crainte vis-à-vis de l’épaisseur de la bête que l’on a abordé À la trace. Mais bon, on en avait entendu dire tellement de bien.
Et, de fait, le roman se laisse très facilement lire. Ses chapitres courts s’enchaînent relativement bien, y compris lorsque l’on atteint le ventre mou du livre – vers la troisième partie – où le rythme ralentit considérablement. Le lecteur tire donc satisfaction autant de cette cadence du récit que de sa propre capacité à lire facilement un aussi long bouquin sans jamais s’y perdre. Car Deon Meyer a au moins cela pour lui qu’il sait construire des intrigues mêlant de très nombreux personnages sans jamais nous égarer. L’auteur a du métier et il sait nous le montrer. Non seulement il nous offre un roman qui mêle avec habileté des thématiques qui nous font (a)percevoir une certaine réalité sud-africaine, mais, de plus, il convoque des personnages –Lemmer et Mat Joubert – auxquels le lecteur de ses romans s’est auparavant attaché.
Pour autant, cela suffit-il à faire de À la trace l’excellent roman que l’on nous a vanté un peu partout dans la presse ou chez nos camarades sur internet ? À notre sens, pas totalement.
Le fait de mélanger plusieurs genres comme roman d’espionnage, éco-polar, thriller et enquête policière ne nous semble pas aujourd’hui quelque chose de si exceptionnel (Le Carré s’y est attelé dans certains de ses derniers romans, à commencer par La constance du jardinier, Winslow avec La Griffe du chien a aussi joué avec ces codes, et, dans un sens, Kem Nunn a aussi pu le faire dans Tijuana Straits, pour ne citer que les premiers qui nous viennent à l’esprit). Certes, Deon Meyer le fait plutôt avec brio mais, après l’exercice de style plutôt réussi de 13 heures , son précédent roman, on en attendait pas moins. Et l’on peut d’ailleurs, malgré tout, saluer le fait que Meyer ne veuille pas se contenter d’en rester basiquement à ce qu’il sait faire, sa capacité à se remettre en question et à vouloir aborder ses nouveaux romans de manières différentes des précédents.
Un jeu sur les genres donc, mais aussi – et c’est ce que l’auteur a mis en avant lors du festival Quais du polar de Lyon – sur la structure. Une structure complexe de prime abord, qui présente trois intrigues séparées reliées par des fils ténus. Là encore on ne peut que saluer le travail de l’auteur. Mais on peut aussi éprouver une certaine circonspection. À quoi sert vraiment la dernière partie si ce n’est à convoquer Mat Joubert, un héros récurent qui plaît à l’auteur et au lecteur ? Lemmer, dans la deuxième partie, lui aussi convoqué pour sa capacité de séduction déjà éprouvée, ne vient-il pas étouffer une partie de l’intrigue autour de ces rhinocéros et de l’intrigante Cornelle ?
En fin de compte, on a lu avec un plaisir certain ce À la trace. Car Deon Meyer est un conteur d’exception et un guide passionnant dans cette Afrique du Sud aux multiples facettes. Reste que l’on éprouve aussi une certaine frustration, l’impression tenace que l’on nous a présenté trois romans en un sans vraiment en avoir conclu un seul (peut-être, à la rigueur, celui mettant en scène Milla, et encore…). Peut-être en attendait-on trop ? Peut-être Deon Meyer, malgré le poids de son livre ne nous en a-t-il pas donné autant que ce qu’il avait pu nous laisser espérer ?
Pour d’autres avis, on peut aller voir du côté de chez Jean-Marc Laherrère et de Polar Noir, bien plus enthousiastes, et de Christophe Dupuis, pour K-Libre, un peu plus circonspect.
Deon Meyer, À la trace (Spoor, 2010), Seuil Policiers, 2012. Traduit par Marin Dorst.
ليست هناك تعليقات:
إرسال تعليق