Baccalauréat !
Même si ni Malraux, ni El-Akkad, ni Cocteau, ni Zola n'ont eu leur bac ! Le jour du bac ne ressemble à aucun autre jour.
Jadis, le baccalauréat avait son miel pur ! Miel du Jujube ! Il avait sa peur douce ne ressemblant à aucune autre peur. Une peur semblable à celle de la circoncision ! Douleur en douceur annonciatrice de la virilité ! Le bac nous faisait rentrer dans la cour des grands ! Et il avait un bonheur sans pair, une sensation unique !
La veille du bac, la nuit fut longue. Très longue, à la longueur d'une année, un peu plus ! Dans l'oreiller de laine s'installent toutes les angoisses. Le matin, avant de prendre le chemin du centre d'examen, je me sentais hanté par la crainte d'oublier quelque chose : la règle, le deuxième stylo ! La gomme, le crayon, la pièce d'identité ou encore la convocation... Les candidats, sans exception aucune, étaient, en ce jour-là, bien habillés. En neuf ou en propre. Bien coiffés !
En chic. Les garçons comme les filles. Le matin du bac, il faut prendre le trolley, le numéro 11 ou le 21, lequel des deux est le plus rapide ? Celui de six heures du matin ou celui de six heures moins le quart ? Perplexe ? Le jour de l'examen, le trolley est en retard ! Même arrivé à l'heure pile, on a l'impression qu'il a été largement en retard ! La faute au chauffeur bavard ! On a peur que, en plein chemin, notre monture tombe en panne ! Le trolley traîne dans toutes les stations, beaucoup plus que d'habitude !
La tortue ! Pour la énième fois, je vérifie l'heure. Je n'ai pas confiance en cette montre que mon oncle m'a prêtée, pour l'occasion. Selon l'expression de mon oncle : “Les trois aiguilles marchent, comme sur un cheveu, elle est de marque suisse !”, il m’a répété cette expression dix fois. Il l'a fait “manger” (remonter) en tournant avec précaution la couronne sur le côté ! Cette montre est sa fierté pendant le mois de Ramadhan, tout le monde mange et jeûne selon ses tic-tacs ! Le bracelet me serre le bras. Il faut arriver devant la porte du centre d'examen, au moins une heure avant l'heure de vérité. Je me suis trouvé, comme les autres élèves, dans une salle qui fait peur, derrière une table individuelle, comme dans le box du tribunal international de La Haye, face à mon nom et mon numéro d'examen écrits sur un bout de papier rouge collé à l'angle droit de la table. Le plumier posé devant moi, lui aussi me fait peur ! Je le regarde, lui aussi me regarde. Et je me demande si je n'ai pas oublié mon deuxième stylo. Le stylo de secours ! Et la gomme, et l'équerre, et la boîte de crayons de couleurs pour les cartes géographiques, et le compas ?
La montre de mon oncle me serre le bras. Ses aiguilles, qui marchent comme sur un cheveu, soudain se sont arrêtées. Mon ventre me serre, j'ai envie de pisser ! La montre de mon oncle ne trahit jamais, fidèle aux jours de Seigneur ! Fidèle aux heures des petites créatures du Seigneur. Je la fixe. Elle redémarre. Il est huit heures, le jour qui ne ressemble pas aux autres jours commence ! Le jour de frisson et de bonheur, lui aussi avait une fin ! Le jour du résultat fut un autre jour ! Des youyous dans des maisons. Du silence dans d'autres.
Aujourd'hui, le bac a perdu le miel du Jujube. Les youyous sont inexistants ou rares. Pour nous, le bac fut nos nouvelles ailes. Le bac fut le chemin vers l'autre. Le premier grand voyage. Avec le bac dans la poche, on avait le droit de quitter la famille et le village. Le bac était la liberté ! L'aventure. Le jour du bac me rappelle ma cousine Fadila Mor, la première brave lycéenne dans notre grande famille qui a décroché le baccalauréat. Une pensée pour elle !
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